Voilà ma traduction de l'interview sur Eurogamer !
(Les textes entre crochets sont des notes du traducteur)
Eurogamer : Comment les 2D Boy se sont-ils rencontrés ?
Ron Carmel : Chez EA, grâce à notre ami commun, Amin Ebadi. Ça s'est vraiment fait par hasard. Peu de gens quittent leur travail (pourtant parfait) après n'avoir rencontré leur futur associé que peu de fois.
Kyle Gabler : Nous passions par une crise existentielle similaire. J'ai acheté beaucoup de livres expliquant comment monter une entreprise, parce que ça me semblait effrayant de ne pas avoir de travail.
Ron Carmel : Vous connaissez ce sentiment, lorsque vous vouliez faire quelque chose et soudain vous trouvez quelqu'un d'autre qui veut le faire aussi ? Mais en fait ce n'est pas aussi effrayant que de travailler de 9 heures à 17 heures dans une ferme cubique pour le restant de vos jours.
Eurogamer : Que comptiez-vous faire lorsque vous avez démissionné ?
Kyle Gabler : L'idée était de faire un jeu, et espérer que les gens l'aiment.
Ron Carmel : Au début, nous avons travaillé sur un jeu parlant de la vie d'un arbre sur 100 ans.
Kyle Gabler : Si ça vous intéresse, c'était basé sur
Big Vine.
Ron Carmel : Mais après nous nous sommes tournés vers quelque chose basé sur Tower of Goo.
Eurogamer : Pourquoi Tower of Goo ? Recherchiez-vous tous les deux quelque chose de spécifique vers lequel vous tourner, ou bien testiez-vous différentes idées ?
Kyle Gabler : Plus ou moins à ce moment-là, nous avons remarqué qu'une petite compagnie louche essayait de faire un clone de Tower of Goo pour les téléphones portables [j'imagine qu'il parle de
Tiki Tower ]. C'était comme Tower of Goo mais en horrible. Ça me faisait mal et me rendait triste que quelqu'un emprunte de manière si flagrante un concept. Ron et moi étions découragés à cet instant. Puis nous avons décidé que nous avions un défi, et que nous pouvions rendre Tower of Goo plus grand et meilleur.
Eurogamer : Vous aviez donc Tower of Goo, et vous vouliez le développer. Quels étaient vos objectifs ?
Kyle Gabler : Tower of Goo avait toujours donné l'impression de pouvoir être étendu en un plus gros jeu. Au départ ça devait être un jeu casual. Avec des feux d'artifices à la fin, etc.
Eurogamer : Ode à la joie ?
Kyle Gabler : Exactement. [ Ils font référence à
Peggle dont voici une
vidéo ]. Mais on a finit par se rendre compte que c'était une mauvaise chose de faire un jeu basé sur Tower of Goo. Ça générait un manque de confiance énorme, parce que nous savions que les gens penseront que chaque niveau supplémentaire ne serait qu'une mauvaise extension du prototype de Tower of Goo principal. Du genre, Niveau de Glace, ou Pont quelconque n° 14.
Eurogamer : Ou Niveau de Lave
Kyle Gabler : Monde Égyptien.
Ron Carmel : Ah oui, pas mal !
Kyle Gabler : Et donc, rempli de doutes, nous avons continué à faire évoluer le jeu parce qu'il ne nous semblait jamais assez bon. Nous n'avions pas l'impression d'avoir fait quelque chose pour lequel des gens seraient prêt à payer. Et nous ne voulions pas essayer de forcer les gens à payer pour un mauvais jeu.
Eurogamer : Comment avez-vous travaillé ? Aviez-vous une base d'opération ?
Ron Carmel : Notre base bougeait. Je me rappelle d'une réunion à propos du jeu de l'arbre que nous avons fait dans un parc à San Francisco. Ça semblait être un bon endroit pour parler d'arbres, n'est-ce pas ? Mais la plupart du temps nous avons travaillé dans des cafés. Probablement trois ou quatre fois par semaine. Le reste du temps nous avons surtout travaillé à la maison.
Eurogamer : Pourquoi en public, plutôt qu'aller dans la maison de l'un ou de l'autre ?
Kyle Gabler : Travailler chez soi, c'est un peu solitaire. On s'est rendu compte qu'il y avait tout un monde secret de personnes travaillant 'chez soi' dans les cafés. J'ai rencontré quelqu'un avec plusieurs cartes à circuits imprimés branchée à son ordinateur portable en train de programmer [La phrase de départ est un peu plus technique, désolé
].
Eurogamer : Quels étaient vos rôles respectifs ?
Ron Carmel : Et bien, c'était un peu bizarre. Et ça a changé au cours du temps. Nous n'avons jamais eu de rôles désignés. Au début nous faisions tous les deux la programmation. Mais au cours du temps, des rôles précis ont émergés de nos compétences respectives. Je pense que j'ai mis du temps à faire confiance au game design de Kyle et qu'il a mis du temps à faire confiance à mon software design. Lorsqu'on a compris qui était le plus adapté pour chaque domaine, les choses se sont vraiment bien déroulées. Nous savions à qui reviendrait chaque décision.
Eurogamer : Qui est Allan Blomquist ? C'est le troisième nom au générique.
Kyle Gabler : Allan est un ami que j'ai rencontré à l'université. Nous avons fait Virtuality 3D Pong ensemble. Il fait partie des 5 meilleurs développeurs avec lesquels j'ai travaillé. Ron et moi avons fait le jeu PC, et Allan l'a fait fonctionner sur Wii.
Ron Carmel : Il a rendu le jeu fonctionnel sur Wii en 3 semaines. Qui peut faire ce genre de choses ?
Kyle Gabler : Il a fait des choses incroyables, comme optimiser quelles adresses du CPU sont utilisées, ou les alignements de mémoires [ Encore des termes techniques, donc je ne suis pas sur ]. Bien sûr, on ne se rend pas bien compte de ce que ça veut dire, mais on peut le remarquer quand on joue au jeu, car il est beaucoup plus agréable à jouer. Voici d'autres informations sur Allan Blomquist : Il est entièrement nourri par du Snapple [Une marque de boisson américaine], des sandwiches de Subway et des épisodes de Felicity.
Eurogamer : Quelle a été la première grande évolution de World of Goo depuis ses origines ?
Ron Carmel : Je ne suis pas sur qu'il y ait eu de grandes évolutions. Ou révélations. Notre démarche a été très lente, comme... l'évolution !
Kyle Gabler : Ça a pris un temps absurdement long pour décider comment les niveau serait présentés. Il nous a fallu un mur entier de post-it pour décider que le jeu devait être divisé en 'îles', et que chacune contiendrait des 'niveaux'.
Ron Carmel : Un jour nous allons montrer d'ancienne versions de World of Goo. Elles sont hilarantes, mais vraiment mauvaises. Il y a eu beaucoup de petites étapes. Nous ajoutions et changions encore des choses un mois avant la sortie. Les OCD n'étaient pas dans le jeu avant la dernière seconde. La nuit dernière j'ai joué à une vieille version où toutes les îles et tous les niveaux de chaques îles étaient affichées sur un seul écran.
Kyle Gabler : Avec la navette spatiale géante ?
Eurogamer : Il y avait une navette spatiale géante ?
Kyle Gabler : Vous verrez à quel point le côté artistique a évolué, si je me souviens bien. À ce moment-là, je pense que le jeu était une blague géante à propos de l'externalisation. [ Mediadico : « Opération qui consiste pour une entreprise à faire réaliser certaines tâches à l'extérieur, par recours à la sous-traitance pour les activités non essentielles et non directement productrices de revenus (informatique, logistique, etc.). » ]
Eurogamer : Quand est-ce que la Word of Goo Corporation est apparue à la place ?
Kyle Gabler : Oh, c'est une autre histoire. Nous ne savions pas encore qu'il y avait des tuyaux dans World of Goo. Au début, le but de chaque niveau était un espèce de vortex fluorescent qui aurait été horrible. Puis des tuyaux nous ont semblé beaucoup plus logique. Et bien sur, un système géant de tuyau devait être connecté à une entreprise géante. Cette idée nous a aidé à lier les îles ensembles. Mais la vraie colle qui tenait le tout ensemble était le Peintre des Pancartes.
Ron Carmel : Je me souviens du jour où Kyle a eu cette idée.
Kyle Gabler : Ce petit garçons (ou cette petite fille) nous a sauvé la vie.
Ron Carmel : Je n'y ai jamais vraiment fait attention, je ne le voyais simplement pas. Mais finalement c'est une des choses que les gens adorent vraiment dans notre jeu.
Eurogamer : Comment faisiez-vous pour créer les niveaux ? Comment chaque niveau est-il venu à la vie ?
Kyle Gabler : J'essaye de me dire 'Quel niveau rendrait bien dans une bande-annonce ?'. Comme nous n'avions pas de budget marketing, les vidéos et les screenshots devraient vendre le jeu, et donc il devait être aussi intéressant à regarder que possible.
Ron Carmel : Kyle, je ne savais pas que tu étais un tel esprit maléfique du marketing.
Kyle Gabler : Fisty la grenouille a été beaucoup postée sur internet. Et ça l'a rendu très heureux ! Donc j'ai essayé de faire plus de niveau qui avaient un côté humain, ou au moins des yeux géants ou des créatures vomissantes. Donc je les dessinais sur du papier, je prenais une photo avec l'appareil de mon téléphone portable, et le dessinait sur Photoshop. Pour le gameplay du niveau, c'est pareil. Je fait un brouillon de la géométrie, puis je l'essaye et je vois si c'est amusant d'y jouer avec seulement des carrés et des cercles. Si c'est le cas, j'y ajoute le côté artistique [Note du journaliste :
Il y a une vidéo de cette démarche sur le site] La partie douloureuse arrive, parfois, quand un niveau est parfait d'un point de vue artistique, mais n'est pas amusant à jouer. C'est arrivé plus de fois que je n'aurais aimé l'admettre, et ils ont tous dû être coupés du jeu final.
Eurogamer : Pouvez-vous donner un exemple de niveau qui a été particulièrement difficile à retirer ?
Kyle Gabler : Il y avait un niveau appelé Crash, avec une boule géante pleines de piquants, et il fallait construire un pont avec des Goo Crâne pour qu'elle rouge par dessus et qu'elle tombe sur une tour de Goo Gris, les détruisant et permettant à un plan de tomber en libérant des Goo. Je n'ai simplement jamais réussi à le faire fonctionner. Mais la boule géante pleine de piquants est devenu les Belles Boules et les Laides Boules, et les niveaux où il faut les guider à travers des situations dangereuses.
Eurogamer : Le thème de la beauté m'a vraiment marqué. D'où celà vient-il ?
Ron Carmel : Project Runway ?
Kyle Gabler : Je regarde beaucoup de America's Next Top Model. Et Project Runway [des concours de beauté et de la télé-réalité américains, comme vous pouvez vous en douter]
Eurogamer : Moi aussi, quelle honte. Ces grandes boules de Goo magnifiques, écrasant les plus laides pour faire leur chemin. Ça ressemblait à un message fort.
Kyle Gabler : Un de mes personnages favoris est Norma Desmond, de Sunset Boulevard. Elle fait une petite apparition à travers les Belles Boules, et spécialement MAMAN. Une icone de film silencieuse, qui n'abandonne jamais sa beauté et sa célébrité passées, et finit par devenir folle. Il y a quelque chose de très triste avec la beauté, et le temps qui passe. Mais le jeu n'est pas du tout sérieux. Cétait très important que le jeu ne se prenne jamais au sérieux.
Eurogamer : Il y a d'autres idées tristes, bien sûr. Le Goo aux piquants solitaire, par exemple.
Ron Carmel : Pauvre Pokey. Je voulais tellement le voir aller dans le tuyau avec les autres Boules de Goo.
Kyle Gabler : Oui, cette horrible boule. Il y avait une limitation avec celle-là, nous ne pouvions jamais en avoir deux dans le même niveau. Ou le jeu aurait explosé.
Ron Carmel : Non ! J'ai réparé ça !
Kyle Gabler : C'est vrai ? En tout cas, c'est pour ça qu'il est seul. Mais en fait il aurait pu être un papillon social.
Ron Carmel : Un très bon exemple de la manière dont la technologie influence le game design.
Eurogamer : Le personnage de MAMAN est fascinant. Je ne pense pas que quelqu'un s'est dit en jouant 'Je m'attendait vraiment à ce que MAMAN apparaisse'. D'où vient-elle ?
Kyle Gabler : De Full Throttle [
Article Wikipedia ]. Quel était le nom du personnage sur la moto dans le combat sur la route en 3D ? Père quelque chose.
Eurogamer : Père Torque.
Kyle Gabler : Oui ! Il était, pour moi, comme un ange, un personnage divin. Il y avait une chorale dans la musique de fond. MAMAN et est une combinaison de lui et Norma Desmond, s'ils étaient une appliquation web 2.0. Tragique, solitaire. Et elle prépare sans le faire exprès les évènements qui amènent au climax du jeu. MAMAN était le plus gros risque. J'avais peur que les gens arriverait jusqu'à elle, ne comprennent pas, ferment leur jeu et ne reviennent plus jamais.
Eurogamer : Et quelle a été la réaction ?
Dans une version plus ancienne du jeu, il était trop difficile de l'atteindre. Donc les gens étaient de mauvais humeurs quand ils la rencontraient ! Nous avons donc rapidement modifié cette pointe de difficulté. Étrangement, personne ne s'est plaint du personnage. Les gens savaient quoi faire, et elle avait l'air d'être perçue comme un élément naturel du jeu. Nous avions peur que les gens ne comprendraient pas la progression de l'acceptation des 'termes et conditions' jusqu'à la 'délivrance' [ Je ne suis pas trop sur de la traduction, là ]. Les panneaux clamant de vieux messages publicitaires dans les chapitres menant jusqu'à elle ont beaucoup aidés.
Eurogamer : Comment avez-vous réagit à la réaction critique ?
Ron Carmel : Nous avons couru dans les rues fièrement et en faisant comme si nous étions des rock stars, mais personne ne savait qui nous étions.
Kyle Gabler : Chaque phrase de chaque test est comme un 'modifieur d'émotion' [ emotion-coaster, si vous voyez une meilleure traduction... ]. Les commentaires négatifs blessent, encore maintenant, quelques mois plus tard. Quand une petite équipe fait un jeu, ou n'importe quel projet, j'imagine que c'est facile de prendre les critiques sur le jeu ou projet directement sur soi-même, ce qui n'est pas la chose la plus saine.
Ron Carmel : Nous avons un peu maigris après le coup de fouet de l'annonce d'une sortie en boîte plus chère en Europe. Ça nous a vraiment effrayé. Je pense que les gens ont oubliés que nous étions aussi des humains. Certaines choses désagréables ont été dites.
Eurogamer : Mais votre Metascore sont 90 et 94 ! [ Metacritic est un site montrant la moyenne des scores obtenus dans la presse papier et internet de chaque jeu ]
Ron Carmel : C'était une chose incroyable. Je ne suis pas fier de l'admettre, mais je vérifiais ce score chaque matin pour voir si le 4ème score était sortit. C'est étrange : quand on a un patron et qu'on reçoit une prime en fin d'année, on comprend qu'on a fait du bon travail. Mais quand on est notre propre patron, ça n'arrive pas. Il nous faut une validation externe, et on la reçoit de gens nous écrivant pour nous dire qu'ils ont adorés le jeu, des tests et, oui, aussi Metacritic.
Kyle Gabler : La réception a été surréaliste. Un des héros de ma jeunese, Tim Schafer, a joué au jeu. Avec son bébé !
Eurogamer : Beaucoup de tests ont parlés de la quantité d'amour qui semble avoir été donné à ce jeu, et le fait que ça rend les gens heureux d'y jouer. Était-ce quelque chose que vous n'avez pas pu vous empêcher de faire ? Ou quelque chose que vous n'avez pas fait mais qui est apparu quand même ? Ou alors c'était délibéré ?
Kyle Gabler : Je dirais les deux premiers. C'est le syndrome de Stockholm. On ne peut s'empêcher de tomber amoureux de la chose qui occupe sans fin votre vie. Mais je ne pense pas que nous nous sommes sentis satisfait du jeu pour autant, c'était probablement bon que nous le détestions un peu aussi.
Eurogamer : Quand Jon Blyth a testé la version PC pour Eurogamer, il a dit qu'il avait peur que vous ayez placé la barre très haut pour la suite. Avez-vous la même impression ?
Kyle Gabler : Oui, nous ne voulons pas faire un autre Temple Maudis [ Le deuxième Indiana Jones ], mais de toute façon le prochain jeu sera un stupide jeu de tir en arène.
Ron Carmel : Mais, comment as-tu deviné mon idée ? J'allais t'en parler demain.
[ Certains s'affolent, alors je précise : c'est de l'humour. C'était assez clair dans le texte original mais apparemment pas dans ma traduction... Donc rassurez-vous, le prochain jeu de 2D Boy ne sera pas un jeu de tir ]
Eurogamer : Et à part le jeu de tir en arène, sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Kyle Gabler : Nous allons bientôt commencer à tester de nouvelles idées, une par semaine.
Ron Carmel : Nous avons déjà quelques idées, mais aucune ne semble vraiment pouvoir faire un jeu.
Kyle Gabler : Oui, le plan est de faire plein de trucs, et de voir ce qui colle.
Eurogamer : Après cette expérience, encourageriez-vous d'autres développeurs à faire la même chose ? S'ils sont une idée géniale et les capacités, doivent-ils faire leur propre compagnie ?
Ron Carmel : Bien sûr ! Et l'argent n'a rien à voir là-dedans. Nous voulions juste faire ce que nous aimions, pas commencer une entreprise. Ça a l'air exagéré mais c'est vrai !
Kyle Gabler : Si vous penser tout arrêter et faire un jeu indépendant, c'est bon de se rappeler qu'on peut toujours récupérer un travail si ça ne marche pas.
Ron Carmel : Il y a tellement de développeur de jeu renvoyés actuellement que ça doit être le meilleur moment de devenir indépendant. Vive les indemnités de licenciement !
Modifié 1 fois. Dernière modification le 18/01/2009 19:54 par Altom.